Alicia Alonso, la « prima ballerina assoluta » (première ballerine absolue), titre honorifique est décédée à l’âge de 98 ans, le 17 octobre 2019 à la Havane où elle est née et a vécu la majeure partie de sa vie, une existence consacrée à la danse classique. Et ce, malgré sa déficience visuelle survenue à l’âge de 20 ans. Celle qui disait « danser dans sa tête » laisse aux cubains et au monde un héritage artistique puissant.
 
 
L’œuvre « Giselle », éternelle et universelle
En 1948, elle a fondé le Ballet Alicia Alonso, la compagnie prendra le nom actuel de Ballet Nacional de Cuba, une troupe qu’elle dirige encore en 2017 quand ses danseurs investissent la salle Pleyel le temps d’un spectacle, Giselle (ballet composé en deux actes), une prouesse remarquable. 
« Giselle » joue sur deux registres en imposant un équilibre solide : le mélange de la culture et de l’émotion cubaine s’accorde au style romantique, le faisant sans anachronisme. Qui plus est la danseuse se renouvelle à chaque représentation, pour éviter les mauvais réflexes et l’ennuie. "Giselle" par Alicia Alonso devient quasiment un mythe. 



Imposer le Ballet Nacional de Cuba aux cubains

Son ballet a réussi à s’imposer dans la société cubaine réfractaire à la danse classique considérée comme étrangère à la culture cubaine. En 1966, le ballet participe au Festival de danse à Paris où une dizaine de danseurs demandent alors l’asile politique en France de peur d’être enfermés à Cuba dans des prisons militaires, des camps de travail forcé où l’on immobilise les opposants politiques, les religieux, les homosexuels ou les artistes dissidents du régime en place; en somme les personnes considérées comme marginales ou asociales par le régime castriste.
 
Les hommes, des danseurs eux-aussi !
Alicia Alonso a agi en faveur de l’acceptation par les cubains de la danse classique en leur proposant un travail soigné et étudié, en les sensibilisant grâce à son propos pédagogique.
Aussi, elle a également réussi à intégrer les hommes à ses cours de danse. Pour sauter l’obstacle, pour qu’ils se rendent à ses cours, et pour leur faire oublier les moqueries des cubains apparentant les danseurs à des homosexuels, Alicia Alonso raconte qu’elle leur faisait croire qu’ils allaient prendre des cours d’escrime. Une fois qu’ils étaient rendus aux cours de danse, Alicia les entrainait avec foi et force dans sa passion. Ils oubliaient alors l’épée et… le subterfuge ! Et ce, pour se consacrer aux grâces des adages et à la discipline du travail à la barre.


 
Un travail sans relâche
Ce travail de longue haleine, Alicia Alonso l’a mené sans relâches malgré les idées reçues, celles portées par les cubains très attachés à leurs propres visions de la danse et malgré son handicap visuel qui l’entraine dans une cécité quasi-totale dès ses 20 ans. Pourtant rien ne l’empêche de danser et de poursuivre son œuvre : elle enchaîne les pas du "Lac des Cygnes", se repère grâce aux lumières vives et contrastantes des projecteurs, sollicite ses coéquipiers danseurs pour que leurs déplacements et situations soient exactement là où ils doivent être.  

Retour sur une carrière
1931 : Alicia Alonso fait ses premiers pas d’étudiante en danse à la Havane, à la Sociedad Pro-Arte Musical. A Cuba, elle danse sous le pseudonyme d’Alicia Martinez. Puis direction les États Unis, où Alicia Alonso poursuit ses enjambées et ses pirouettes à New York avec Anatole Vilzak et Ludmilla Shollar à la School of American Ballet, et plus tard avec Vera Volkova à Londres.
Les premières scènes professionnelles d’Alicia Alonso ont lieu aux États-Unis en 1938.
Elle danse dans des comédies musicales. C’est en 1940 que sa carrière prend un tour marquant : elle rentre au nouveau New York City Ballet.
Elle y interprète alors des rôles clés dans des œuvres classiques et romantiques.
Puis, Alicia Alonso devient étoile et de travail en ballerine, elle rejoint les plus grands chorégraphes de son temps. A l’opéra de Paris, elle se distingue dans son interprétation à la fois originale et fidèle au genre de Giselle qui aura marqué les esprits autant que l’Histoire de la danse classique. Carlos Acosta, directeur du Ballet royal de Birmingham, au Royaume-Uni s’est exprimé il y a quelques jours dans un communiqué, lui rendant ainsi hommage « Fille d'une petite île des Caraïbes, Alonso s'est imposée face à toutes les barrières de ceux qui disaient que le ballet était un art de pays développés, que le physique et le tempérament latins n'allaient pas avec les exigences de la danse classique ». 

 .                                                       
 AFP/ARCHIVES



Par Charlotte Saliou