Rencontre avec Grégory Cuilleron, ancienne star des émissions culinaires, qui a brillé par son talent lors de "Top Chef" et "Un Dîner Presque Parfait : le combat des régions". Aujourd’hui, Gregory Cuilleron est dirigeant de deux restaurants à Lyon. C’est malgré son agénésie (il est né avec une seule main) qu’il a réussi à s’imposer dans le monde de la restauration.
 
Son attitude a été et demeure de se faire reconnaître par ses qualités. Et ce, sans sombrer dans le piège des regards trop compatissants et stigmatisant l’individu, qui auraient pu freiner sa volonté et son envie de réussite. C’est ce qui ressort également de son autobiographie à paraître le 17 mars.


Qu’avez-vous appris de vos expériences à la télévision, dans les émissions "Un dîner presque parfait : le combat des régions" et "Top chef "?
J’ai appris les vertus de travail. Quand j’étais jeune, j’avais un poil dans la main… Je sortais d’expériences professionnelles variées, notamment dans une agence de communication. En cuisinant pour Top Chef, j’ai appris les vertus du travail et les bienfaits du collectif.
 
Le  "Dîner presque parfait", était très stimulant et positif. A l'époque de "Top Chef", l’ambiance était très bonne. Nous nous sommes aidés, dans le respect des autres. Je suis le tout premier gagnant du dîner... 
 
J’ai été contacté par la production d’un "Dîner presque parfait" car je m’occupais d’un restaurant gastronomique, et plus précisément de leur communication externe. Est venu le jour où le restaurant a été contacté par la production de l’émission pour savoir s’il y avait des clients qui voulaient participer. Alors j’ai décidé de tenter ma chance... tout simplement !
 
"Top chef" s’est passé différemment. La société de production m’a directement proposé de m'impliquer car j’avais déjà une petite notoriété et qu’ils m’ont vu passé à l’écran. Ils m’ont proposé cette opportunité pour que je puisse augmenter mon niveau par rapport à d’autres cuisiniers professionnels. Se frotter à eux a été enrichissant.
 
En quoi cela vous a-t-il permis de vous développer professionnellement ?
Professionnellement, c’était bien sûr très utile de faire des émissions à fortes audiences, cela m’a permis de me faire connaître. Et puis, au niveau des compétences, cela m’a vraiment aidé à apprendre sur le tard et à valoriser l’expérience du terrain. Des gens me parlent encore de mes participations à ces émissions, aujourd’hui. J’ai également participé à d’autres émissions dont la tournée des Popottes.
 
Et personnellement ? Avez-vous des anecdotes à raconter ?
Sur la durée, je me suis fait de vrais amis. J’ai beaucoup de ressentis mais très peu d’anecdotes à raconter même si bien sûr j’ai vécu toutes sortes d’expériences, plutôt bonnes ! Les tournages se passent à la dure et nous stressons beaucoup. Cela nous pousse tous dans nos retranchements et nous fait progresser, ce qui nous entraine vers la découverte de qui l’on est et qui est l’autre. Le handicap ne m’a pas gêné. Je ne me suis pas senti troublé par cela et d’ailleurs je n’ai pas été stigmatisé. J'avais parlé avec la production d'une chose essentielle, je ne voulais pas être l’handicapé de service. J'ai désirais être comme tout le monde et cela a été le cas.
 
Aujourd’hui vous êtes entrepreneur. En quoi le parcours est-il compliqué quand on a un handicap et qu’on veut créer et construire sa propre entreprise ? 
Devenir entrepreneur n’est simple pour personne. Au départ, c’est certain que cela a été difficile. Quelques personnes ont essayé de me dissuader. Mais je me suis associé à Loïc Renart, et cela m’a aidé à trouver les financements, une légitimité et une force.

Et puis, il est certain que c’est pratique de trouver des financements quand on est connu, que l’on bénéficie d’une notoriété… De même, j’ai été ambassadeur pendant huit ans de l'association APF, ce qui m’a aussi permis de m’investir pleinement sur des projets collectifs avec comme ambition, l’humain.
 
Entreprendre, est-ce en France pour vous, aujourd’hui un levier fiable pour l’inclusion ?
Nous avons un problème avec les personnes en situation de handicap en France à plusieurs niveaux. Nous ne les laissons pas s’investir au niveau entrepreneurial notamment. Un recruteur qui a vu des personnes handicapées à l’école aura, je pense, moins de mal à recruter des personnes en situation de handicap…  L’école inclusive est sur le long terme une politique essentielle qui œuvre en profondeur pour l’insertion des personnes handicapées dans le monde professionnel.

Aussi, créer son propre emploi, c’est quasiment plus simple parfois car les CDI font peur aux entreprises d’une part ,et d’autre part, l’on craint ce que l’on ne connait pas, et le handicap est peu connu ou disons très mal…
 
C’est ainsi que vous en êtes arrivé à établir vos restaurants, n’est-ce pas ? Quel est le style de mets que l’on goûte chez vous ?
J’ai monté deux restaurants, qui sont à Lyon et qui peuvent chacun accueillir 40 couverts. Je cuisine des produits bio de saison, assez simples, et j’y mets une teinte et des saveurs venues d’ailleurs. Georges Blanc, un chef qui est l’un de mes maîtres m’a toujours dit « il faut régaler avant de surprendre » ! C’est guidé par cela que je cuisine.

 
Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
C’est-à-dire que dans nos restaurants, l’objectif est de tous faire nous-mêmes et d’essayer d’agir au maximum en étant locavores, en cuisinant avec des produits de régions proches de Lyon afin par ailleurs de contribuer à l’économie circulaire.
Par exemple, je de la truite qui est un poisson d’eau douce.

J’aime bien préparer les légumes du pot au feu, des choux farcis et des ravioles végétariennes, betteraves ou des tartelettes aux topinambours... 
De temps en temps, manger un turbot ou un bar, cela fait plaisir, mais de là à régaler mes clients et moi-même de fraises péruviennes en plein hiver ou d’asperges vertes quand cela n’est pas la saison, il ne faut pas exagérer !
 
Pour ce qui est du recrutement, employez-vous des personnes en situation de handicap ?
Je n’emploie pas des personnes en situation de handicap dans mes restaurants. Il y a des handicaps qui ne permettent pas de faire la cuisine. C’est difficile quand on est en fauteuil roulant de peler, décortiquer, mettre les aliments dans une casserole. Et puis, l’obligation de sécurité s’impose.
 
Aussi, je ne trouve pas que cela soit très juste de recruter une personne en situation de handicap parce qu’elle est en situation de handicap. C’est à compétence équivalente que cela se joue.
Si je peux le faire, oui bien sûr, je le fais. 
 
Et pour ce qui est de l'accessibilité de vos restaurants ? 
L’un de mes deux restaurants est accessible et l’autre ne l’est pas. Tout d’abord, notre restaurant est classé à l’Unesco, ce qui nous permet de ne pas l’équiper totalement… Dans l'un de mes deux restaurants, pour que les WC soient adaptés, il faudrait les mettre au rez-de-chaussée mais il se trouve que la cuisine prend beaucoup de place, et bien sûr, nous n’allons pas risquer de faire s’effondrer la mezzanine en l’installant.
 
En revanche et bien entendu, nous sommes solidaires, et nous aidons les personnes à mobilité réduite à entrer chez nous et à s’y sentir bien, comme n'importe quel autre client. 

Et puis, il existe des recours ! Les commerces autours de mes restaurants ont tous des WC inadaptés. Nous avons proposé à la mairie un WC public installé près de tous ces commerces pour que les personnes en situation de handicap qui sont nos clients puissent y accéder. Et cela, au coin d’une rue commune ou au niveau d’un carrefour.
 
Avez-vous de nouveaux projets en cours ?
Je sors un ouvrage le 17 mars, intitulé "la vie à pleine main". C’est un livre autobiographique. J’y raconte ma vie et je partage des anecdotes amusantes, tristes ou révélatrices. Je souhaite faire part aux lecteurs intéressés, handicapés ou valides, de ce qui m’a conduit à devenir restaurateur  et ce que c’est que de vivre avec une seule main, depuis la naissance. C’est un livre qui à mon sens, s’adresse à tous.
 
Ce livre est-il de votre plume ?
C’est mon histoire et je l’ai écrite en étroite collaboration avec Alexi Jenni, un ami qui m’est cher. Il était professeur de biologie et surtout mon voisin, ce qui a permis de nous lier d’affection. Il a eu remporté le Prix Goncourt « L’Art français de la guerre ».
 
Quel est votre propos dans son livre, celui qui fait autorité ?
Le handicap n’est pas une fatalité. Ce n’est pas triste, mais bien sûr, je peux comprendre que, quand on ne connait pas, on ne comprend pas.  Je vous assure, nous pouvons être handicapés et avoir une très belle vie.


Le livre sera-t-il accessible ?
Le livre est édité par Albin Michel et adapté en audioguide. Le braille n’est pas prévu, pour l’instant, à ma connaissance. La dimension accessible de l’ouvrage n’a pas encore été complètement pensée et je ne suis pas le décideur. Je ferai des dédicaces, au travers de rencontres et je me rendrai un maximum disponible pour les associations si celles-ci veulent me rencontrer et faire des lectures.
 
Quel crédo vous a guidé tout le long de ce parcours ?
Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis ! Et, « ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester mais comprendre » qui est un bel adage, extrait d’un ouvrage philosophique de Spinoza. J’essaie de me remettre assez régulièrement en tête une autre idée pour qu’elle surplombe la majorité de mes actes : il ne faut pas être purement et seulement dans l’épidermique.
 
BIOGRAPHIE de Grégory Cuilleron
« Originaire de Lyon, Grégory Cuilleron remporte en 2009 le concours national « Un dîner presque parfait : le combat des régions » sur M6 puis participe à « Top chef « où il affrontera onze professionnels de la cuisine.
 
Cuisinier passionné, Grégory a depuis animé plusieurs émissions : la série documentaire « La Tournée des popotes » sur France 5, « Chez Remy tout le monde peut cuisiner », un programme avec des enfants dérivé de l'univers du film d'animation Ratatouille sur Disney Channel ou encore sur France 2 dans « La fabuleuse histoire du restaurant » avec Stéphane Bern et Nathalie Nguyen.
 
Son crédo : cuisiner pour s'amuser, faire découvrir et surtout partager…  Auteur du livre « Bluffez vos enfants » chez Mango Éditions, Grégory donne des cours de cuisine dans les écoles afin de sensibiliser les enfants au goût. Il est également l’auteur de « Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? » chez Hachette Cuisine.
 
Côté resto, Grégory s’est associé avec Loïc Renart, directeur de l’Hôtel Globe et Cecil, pour ouvrir le restaurant Le Comptoir Cecil, un lieu atypique en plein cœur de la presqu’île lyonnaise qui casse les codes de la restauration traditionnelle permettant de venir y manger à toute heure. »