Ask’Elles, les « ailes » en breton, est un collectif de Vannes qui a réuni 7 femmes en 2019 autour d’un projet commun : la réalisation d’un calendrier pour 2020. Au fil des pages et des mois, nous découvrons Myriam, Florence, Nathalie, Valérie, Isabelle, Céline et Chantal. Elles se sont lancées dans ce projet pour assumer leur handicap et le montrer aux autres, sans honte ni tabou, sous le regard du photographe Stéphane Bédard. Il est allé puiser au fond d’elles la volonté, le naturel et la vie.

 
Rencontre avec Céline Breton, l’une de ces femmes photographiées et avec Stéphane Bédard, leur « capteur d’images » !



 
Céline, comment vous êtes-vous rencontrées toutes les sept ?
Nous nous sommes rencontrées via la prestation "Rebondir" prescrite par Cap Emploi à Vannes & financée par l'Agefiph. C'est une prestation de 70 heures étalée sur un mois. Elle a pour but d'aider les personnes à accepter leur handicap, reprendre confiance en elles et renoncer à leur ancien métier incompatible avec leur handicap. Nous sommes sept femmes entre 42 ans et 56 ans. Nous ne nous connaissions pas pourtant, nous nous sommes très vite liées. Il existe à présent une belle complicité entre nous.
 
Quel est le but de ce projet exactement ?
Le but de cette prestation est de créer un projet afin que chacune se mobilise, en passant des coups de fil, en faisant un reportage. Très vite, nous avons eu l'idée de ce beau calendrier en noir et blanc avec nos sept portraits et cinq thématiques… 12 mois oblige !



 


Comment se sont passées la rencontre avec Stéphane Bédart et les journées de shooting ? 
Comme nous avions décidé de créer un calendrier, nous avons dû démarcher des professionnels afin qu'ils nous accordent bénévolement leur temps mais aussi leur professionnalisme. Dans mon réseau, je connaissais un graphiste professionnel du nom de Sylvie Valet. Un vidéaste professionnel et très bon photographe à ses heures perdues prénommé Erwan Le Luhern ont bien voulu nous aider. Erwan a contacté un de ses amis, Stephane Bédard qui lui est photographe professionnel, et il a fait de jolies photographies.

Erwan avait demandé à chacune de penser à une mise en scène afin d'exposer son handicap, c’est-à-dire ce que chacune souhaitait montrer au travers de sa photo.  
Nous avons fait le shooting en 4 heures dans une grande salle de réunion.
Stéphane et Erwan avaient amené leur matériel d'éclairage et nous sommes toutes passées au fur et à mesure devant l’objectif de Stéphane. Tout cela s'est fait dans une très bonne ambiance, comme tout le reste de la formation d'ailleurs.  
 
Quel message souhaitez-vous faire passer avec ce calendrier ?
Le message global est de montrer le handicap et de l'assumer. Il est invisible pour six d'entre nous et visible pour moi puisque je suis désarticulée de hanche depuis un accident il y a 4 ans. Après, chacune a fait son chemin au cours de la formation et avec sa photographie.
Pour deux d'entre elles, Florence et Nathalie, qui sont atteintes de TMS et d'autres handicaps, ces photos et cette formation leur ont permis d’en parler autour d'elles et de dire, d'assumer qu'elles sont en situation de handicap.

Quant à moi, cela fait déjà 2 ans que j'ai choisi de ne plus mettre d'habillage sur mon genou électronique. Je suis maintenant comme ça, un peu bionique !
Et l'été, en robe, je n'ai aucun souci à avoir mes jambes nues, bien au contraire… Pour moi, c'est une façon de dire que les personnes qui ont des prothèses continuent à vivre comme n’importe qui. Elles sortent et font du sport, par exemple !

Je ne veux pas  "choquer " mais cependant, je pense que plus l'on verra des personnes avec des prothèses de jambe ou de bras, des personnes en fauteuil ou des personnes avec des déficiences mentales, plus les personnes valides verront que nous faisons autant parti de la société qu'elles.




 

Parlez-nous du contenu de ce calendrier
Disons que dès le départ, nous voulions axer notre calendrier sur deux objectifs.  
Tout d’abord, montrer des côtés positifs du handicap, malgré les obstacles, en mettant en lumière une championne de surf malgré sa paraplégie ou encore Margot qui intervient dans une classe adaptée pour des enfants autistes.

Lors du lancement, où une trentaine de personnes étaient présentes, telle que l’adjointe au Maire de Vannes, la vice-présidente de Vannes agglomération, des personnes en charge du handicap dans des associations, des institutions et des médias, tous ont aimé la mise en valeur de chacune et les photographies ont séduit notre public  !



 

Qu’est-ce que cela provoque en vous de vous voir ainsi photographiées ?
Chacune est réellement fière du travail accompli, de son image, de sa photo !
Cela reflète vraiment chacune de nous dans notre entité.
Je pense qu’accepter de se laisser photographier est une façon de s'accepter…
 
Rencontre avec Stéphane Bédard, photographe du projet



 
Stéphane, comment avez-vous rencontré ces femmes ?
Je les ai rencontrées par le biais d'une connaissance, le vidéaste Erwan le Luhern de Visual Fx. N'étant pas photographe, il a pensé à moi pour ce projet.
 
Comment avez-vous voulu les représenter ?
Ce n'est pas moi qui ai décidé de les représenter. Le projet vient d'elles. Quelques jours avant, j'ai été sollicité par Erwan le Luhern. Il ne m’a pas donné plus d'informations, m’a seulement dit que sept femmes portant un handicap étaient décidées à créer un calendrier lors d'une fin de formation Cap Emploi, et donc de réaliser une séance photo. Erwan n'en savait pas plus.
 
J'effectue, en majeure partie, les reportages en extérieur. Je ne suis donc pas très équipé pour le studio, ou du moins je suis équipé sommairement, car je n'en fais seulement que de temps en temps, à domicile. C'est une activité mineure pour moi. Je n'ai pas eu le temps d'emprunter du matériel. De même je ne pouvais en louer par absence de budget. Je suis juste arrivé avec mes deux flashs studio et un portique pour installer un fond tissu à tendre, et bien sûr avec mon appareil photo. Nous sommes allés dans une salle de formation et de réunion et nous avons poussé les tables !

Techniquement, ce n'était pas possible de tendre un fond et de le prolonger sur le sol. Je n'avais que quelques heures pour faire les images avec le lieu, tel quel.
Le sol était anthracite, il n'y avait qu'une partie du mur de couleur uni, en blanc cassé, les femmes étaient presque toutes vêtues avec du noir, ce qui n'était pas l'idéal… Mais il a fallu composer avec.
Il aurait été préférable de se concerter afin de se préparer au mieux pour réaliser des images plus réfléchies, mais nous avons composé avec le présent, l'humain et les "ingrédients" qui étaient là.
Je me suis alors dit que l'important, c'est l'envie, leurs envies surtout, leurs idées et leurs élans. Je les ai laissées exprimer leur gestuelle devant l'objectif, ce qu'elle voulait faire transpirer.

J'ai seulement apporté mon expérience pour peaufiner.
Disons que j'ai conseillé sans vouloir imposer. Je tiens aussi à souligner, qu'au vu du contexte de prises de vues, la graphiste Sylvie Vallet qui se chargeait de la mise en page du calendrier est à saluer.
Elle a eu la contrainte d'avoir à faire un peu plus de travail pour effectuer un peu plus de détourage.
 
Qu’est-ce qui vous semble, Stéphane,  important de montrer au regard des « autres » ?  
Le handicap ? C'est la vie qui l'amène, personne ne le choisit. La personne avec un handicap ne doit pas rester sur le bas-côté professionnellement, avec comme motif de cette marginalisation, une éventuelle capacité moindre. La personne avec un handicap veut de la vie, au même titre qu'une autre personne.

Il est important de montrer que cette éventuelle différence de capacité à évoluer dans le travail et dans la vie, à cause d’un handicap, ne doit pas faire l’objet d'une mise à l'écart et d'un regard particulier ou d’une différence de perception.
Nous devons simplement apporter du soin, si nécessaire, afin que la personne porteuse d'un handicap se sente bien, comme l'égale d'une personne valide.



 

Qu’est-ce qui est frappant chez Ask’Elles ?
Leurs envies d'affirmer leurs souhaits, de réussir comme toutes, de ne plus vivre une marginalisation sournoise et pernicieuse. Elles veulent vivre comme les autres.
 
Savez-vous par quels types de handicap elles sont atteintes ?
Je n'ai pas cherché à savoir. Et ce, pour éviter le piège d’étaler exhaustivement leur handicap. Pour certaines, j'ai vu et compris qu'il est physique suite à un accident ou alors à cause d'une usure au travail.
 
Comment percevez-vous leurs démarches ?
Ce calendrier met en exergue leurs envies. Leur démarche est positive, dynamique.
 
Quelle est votre démarche en tant que photographe ? 
Ce projet n'est pas ma démarche, j'ai simplement contribué, aidé gracieusement. Mais ma démarche photographique générale, mon credo, c'est de mettre en lumière, faire sortir de l'ombre, essayer de magnifier autant que je peux. Faire exister, voir quelqu'un se sentir regardé, ou exister davantage, un tantinet en tous cas, après avoir composé des images avec cette personne, cela me ravi.
 
Si vous deviez définir en quelques mots ou narrer ces images, que diriez-vous, pour conclure ?
Elles ne veulent plus souffrir à cause de leur handicap.
Elles veulent se sentir belles et surtout qu'on les voit belles. Elles veulent être accueillies au même titre qu'une personne sans handicap et elles veulent être reconnues.